La chute de l’ancien president de Mongolie pour corruption
L’ancien président de Mongolie, Nambaryn Enkhbayar, a été condamné à quatre ans de prison, vendredi 3 août, mettant fin à un feuilleton judiciaire long de trois mois. Il devient ainsi le premier président de la jeune démocratie mongole à tomber pour corruption dans un pays qui occupe la 120e place sur 182 dans le classement international de la corruption établi par l’organisation Transparency International. Après trois jours de procès, Nambaryn Enkhbayar a été jugé coupable de privatisation illégale d’un hôtel et d’un journal, ainsi que de détournement d’équipements pour émettre à partir de sa propre station de télévision, a déclaré le gouvernement dans la soirée de jeudi.
Cette décision met en péril le gouvernement mongol nouvellement formé, puisqu’elle intervient près d’un mois après les élections législatives, censées former le Parlement pour les quatre années à venir. Le parti révolutionnaire du peuple mongol (MPRP), fondé par M. Enkhbayar, a en effet permis au parti démocrate, au pouvoir depuis 2009, de former une majorité. La condamnation de leur leader remet en question leur participation au gouvernement.
Mais cette affaire met surtout à mal la figure de M. Enkhbayar, premier ministre de 2000 à 2004 et troisième président de Mongolie de 2005 à 2009. Battu par le démocrate Tsakhia Elbegdorj à l’élection présidentielle de 2009, il a fondé un nouveau parti, le MPRP, qui se faisait fort d’occuper la place du « faiseur de roi » en mettant en place une coalition de petits partis, seule capable de départager les deux partis majoritaires. Tout au long de son procès, M. Enkhbayar n’a d’ailleurs eu de cesse de clamer son innocence, accusant ses détracteurs de vouloir le mettre en prison par peur de son influence politique.
UNE AFFAIRE « ORCHESTRÉE PAR LE POUVOIR »
L’affaire politico-médiatique a commencé le 13 avril, quand la police est venue arrêter M. Enkhbayar à l’aube, devant la maison de ses parents. La scène, retransmise en direct à la télévison, marque par l’ampleur du dispositif déployé : plusieurs dizaines de policiers et presque autant de journalistes sont là pour accompagner la chute de l’ex-chef d’Etat.
L’opinion publique se divise alors en deux. D’un côté, ceux qui saluent ce premier geste fort dans la lutte contre la corruption qui gangrène le pays. De l’autre, les partisans de M. Enkhbayar, qui s’indignent du traitement ainsi infligé à un homme politique d’une telle importance et pointent du doigt les dérives d’une justice qu’ils jugent orchestrée par le pouvoir. En cause : l’intervention du procureur et du juge en charge du dossier de M. Enkhbayar, qui ont envoyé une lettre au comité électoral afin de le convaincre de rejeter la candidature de l’ancien président. L’avocat de ce dernier, Me Peter Goldsmith, dénonce alors une procédure, estimant que cette lettre démontre que « tout ceci est orchestré du centre et ce pour une raison : se débarrasser d’un rival politique populaire », peut-on lire sur site Internet du Financial Times.
L’ancien avocat général de Grande-Bretagne considère que son client n’a eu droit aux égards dus au plus simple repris de justice et que le gouvernement a violé la loi mongole en ne lui permettant pas de rencontrer son client en privé. « Ils ont mis un mur de verre entre nous et nous ont forcé à parler via des combinés téléphoniques, qui étaient évidemment enregistrés, et ils nous épiaient grâce à des caméras », déclare-t-il au New York Times.
UNE GUERRE DES IMAGES
« M. Enkhbayar a beaucoup aidé à faire prospérer la corruption dans son pays, concède Sumati Luvsandendev, un commentateur respecté à Oulan-Bator, repris par le Financial Times. Mais ceux qui l’ont mis en prison ont fait un si mauvais travail qu’ils ont énervé tout le monde… Les gens sont tentés d’extrapoler : un ancien président peut être traité de cette manière, alors comment serait traité un citoyen ordinaire ? » Même constat chez Mark Minton, ancien ambassadeur américain en Mongolie, pour qui l’affaire a été « rude ». « La procédure a été si irrégulière et si dangereuse pour l’accusé que cela ouvre la porte aux accusations de motivations politiques dans cette affaire », déclare-t-il.
Le 4 mai, dénonçant l’injustice de son procès, M. Enkhbayar entame une grève de la faim. Au bout de dix jours sans eau ni nourriture, son état physique est tel qu’il est emmené à l’hôpital. Selon un rapport médical transmis à sa famille, son cœur, ses reins, son foie et son estomac étaient sur le point de lâcher. Pour lui laisser le temps de se remettre, la date de l’audience est ainsi déplacée au 4 juin, deux jours avant la date butoir de remise des candidatures pour l’élection législative. Sachant que la plupart des procès en Mongolie durent une seule journée, le camp de M. Enkhbayar dénonce encore une fois une manipulation politique. « La coïncidence est trop grande pour faire croire que cette date n’a pas été choisie délibérément, afin de permettre de condamner M. Enkhbayar » avant la date limite, l’empêchant ainsi de se présenter aux élections, accuse Me Goldsmith.
Si la médiatisation a pu servir l’ancien président, en le montrant victime du système judiciaire, elle a aussi pu lui porter préjudice, notamment une vidéo le montrant marchant dans l’hôpital, et invectivant le personnel médical avec agressivité. Des attitudes bien différentes de celles présentées par sa famille, qui le décrivait à l’agonie.
Delphine Roucaute
Source : Lemonde.fr