Gengis Khan en Mongolie intérieure

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Gengis Khan en Mongolie intérieure

 

 

Les mongols disent que Gengis Khan n’était pas un homme méchant, mais qu’on lui a fait « mauvaise presse ». Il n’est pas que l’auteur des pillages et massacres qu’on lui prête, il est celui qui a unifié les peuples de Mongolie et qui a crée un empire, qui à son apogée, s’étendait jusqu’aux rives du Danube. Il est celui qui a promu la tolérance religieuse et les arts et les années de paix qui se sont poursuivies sous le règne de son petit-fils Kubilai Khan ont permis à Marco Polo de voyager en Extrême Orient et d’ouvrir de nouvelles routes commerciales.

 

Pour les mongols, Gengis Khan est un demi-dieu. Il est même vénéré en Chine, plus particulièrement en Mongolie intérieure dans la ville de Ordos. Sur le chemin de ce pèlerinage, il y a une statue en bronze du héros, des drapeaux colorés au-dessus d’une urne utilisée pour brûler l’encens. Au delà, un édifice blanc dont les toits sont bleu et couleur safran, édifice qui aurait appartenu au grand Khan (les mongols en tout cas le croient).


L’endroit est officiellement appelé mausolée, mais les mongols savent mieux que quiconque qu’une fois Gengis Khan mort, son corps a été ramené près de son lieu de naissance (dans les montagnes du Khentii) et qu’il aurait été enterré dans un endroit tenu secret. Mais ils viennent (mongols de Chine et de Mongolie) vénérer ici l’empereur. Ils regardent l’arc et les flèches, la selle et les drapeaux qui auraient été ceux de Gengis Khan et ont l’impression de ne faire qu’un avec l’empereur. « Nous croyons que lorsqu’une personne meurt, son âme demeure dans les objets qu’il laisse sur terre » déclare Haskawa, guide du mausolée.

 

 


L’esprit de Gengis Khan a traversé les siècles de manière symbolique de bien différente manière. Les gardes du mausolées seraient les parents de la 39ème ou 40ème génération des généraux qui entouraient le grand Khan au moment de ses conquêtes. A sa mort, sa garde fidèle aurait été chargé de protéger son legs et ainsi pendant 800 ans, ils ont parcouru les steppes, allant et venant le long de la frontière sino-mongole avec leurs 8 yourtes blanches.


Les généraux et leurs descendants ont également entretenu la flamme, au sens propre du terme. Elle brûle derrière le mausolée et il paraît qu’elle n’a jamais cessé de brûler depuis la mort du grand Khan. Les familles, à genoux, joignent leurs mains pendant que l’un des descendants des généraux de Gengis Khan chante et appelle l’esprit de l’empereur à venir bénir les pèlerins réunis.

« Cela a une signification profonde que d’honorer la mémoire de Gengis Khan » déclare Sheek Bai-er, un jeune homme venu ici avec sa famille pour recevoir cette « bénédiction ». « En l’honorant, il nous aide et nous guide dans notre vie. Nous venons ici dès que nous en avons l’occasion ». Sa voix devient presque un murmure en mentionnant Gengis Khan, tant l’émotion le saisit. Mais Sheek Bai-er, tout comme la guide, est loyal envers deux frères « ennemis » : historiquement et ethniquement parlant, il est loyal envers la Mongolie, politiquement parlant, il est loyal envers la Chine. Car ne l’oublions pas, la Mongolie intérieure est en Chine, donc il est chinois.


La Mongolie telle que nous la connaissons aujourd’hui a été sous le contrôle de la dynastie Qing, qui, comme Mandchou, était comme le furent les mongols au XIIIème siècle, une force étrangère envahissante. Quand la dynastie a chuté, la Mongolie a déclaré son indépendance. Mais le pays est ensuite tombé sous tutelle soviétique, jusqu’à la chute de l’URSS au début des années 1990.

La Mongolie est maintenant un pays indépendant et une démocratie (chose rare en Asie centrale qu’il est bon de rappeler). La Mongolie intérieure est majoritairement peuplée de Hans, que leur ancien leader communiste Mao Zedong avait encouragé à venir vivre dans cette région pendant que son gouvernement organisait les purges et les exécutions d’intellectuels mongols. Les mongols représentent maintenant moins du cinquième de la population de Mongolie intérieure et la jeune génération ne parle même pas mongol. Elle a reçu l’éducation qui est dispensée dans toute la Chine.

Et cette éducation a une approche créative de l’histoire. Plus besoin de dire que les mongols étaient des envahisseurs. Les officiels chinois les ont déclarés de manière rétroactive chinois, faisant ainsi de leurs territoires des territoires ayant toujours fait partie de la grande Chine. Plus besoin de parler du grand empire gengiskhanide, le plus empire que le monde ait connu car dans la version chinoise, Gengis Khan était un patriote chinois, seigneur de guerre qui a unifié la mère patrie.

C’est difficile de rester « droit dans ses bottes » pour un citoyen chinois d’origine mongole.

Pour illustrer ce propos, morceaux choisis de l’interview de la guide Haskawa à propos de l’histoire de la Mongolie.

« Gengis Khan a édifié le grand empire mongol et sauvé la race mongole. Son petit-fils Kubilai Khan a fondé la dynastie Yuan » déclare-t-elle.

« Alors, quand Gengis Khan a fondé l’empire mongol, est-ce que la Chine faisait partie de la Mongolie ? »

« Oui » répond-t-elle. « Et sous le règne de Kubilai, est ce que la Chine faisait toujours partie de la Mongolie ou est-ce que la Mongolie était un territoire chinois ? »

« La Mongolie était un territoire chinois » dit-elle sans ciller.

« Alors qu’était l’empire mongol ? »

« L’empire mongol s’étendait juste sur les plateaux de l’actuelle Mongolie » (pleine contradiction de ce qu’elle avait dit peu avant). C’est la Chine qui a étendu ses conquêtes jusqu’aux frontières de l’Europe ».

« Et est-ce que Gengis Khan était chinois ? » « Non, bien sûr, il était mongol » répond-t-elle en riant de ma question bête.

« Est-ce que Kubilan Khan était chinois ? » « Non, il était aussi mongol ».

« Mais alors, s’il était mongol, comment a-t-il pu devenir empereur chinois ? » « Je n’en ai aucune idée. (pause). En Chine, il n’y a pas beaucoup de personnes qui connaissent le grand empire Mongol. Mais tout le monde connaît la dynastie Yuan. Car les Yuans, avons-nous coutume de dire, ont unifié toute la Chine. »



Le but de ce mausolée, lieu de pèlerinage, peu importe la dénomination, est, pour la Chine, un moyen de se réclamer de l’héritage de Gengis Khan. Les chefs communistes chinois, depuis toujours sont allés dans ce sens. D’abord la dynastie Qing (qui ont convaincu les descendants de la garde rapprochée de l’empereur d’installer leur yourte près de Ordos). « Ils prétendaient être très proche culturellement et spirituellement de Gengis Khan » déclare Jack Weatherford, auteur de Gengis Khan and the Making of the Modern World. « Cela les a aidé à légitimer leur domination étant donné que les mongols avaient largement dominé leurs rivaux et qu’ils étaient eux-mêmes mongols. C’était une stratégie très efficace de la part des Qing que de maintenir une pseudo-parenté ».

Moins efficace, la stratégie des nationalistes se réclamant de Chiang Kai-shek : ils voulaient construire un édifice fixe pour recueillir les reliques de l’empereur. Ce qui choqua beaucoup la sensibilité nomade des mongols, mais pas tant que l’idée des japonais au cours des invasions des années 1930 et 1940. « Les japonais avait une politique précise : ils voulaient construire un lieu de pèlerinage dédié à Gengis Khan et unifier tous les pèlerins sous le signe d’une histoire pan-asiatique commune » dit Weatherford. « Ils pensaient que c’était le meilleur moyen de les faire passer, comme de tradition, pour des grands guerriers asiatiques et pas seulement des japonais. » Les mongols n’ont pas mordu à l’hameçon. Ils ont déménagé leurs yourte et ont fui vers le sud, loin de tout contrôle japonais. C’est seulement quand le parti communiste chinois a pris le pouvoir que les pèlerins sont retournés vers les steppes de Mongolie intérieure pour y vénérer leur demi-dieu.

Mais la révolution culturelle est passée par là et les gardes rouges ont détruit et persécuté des milliers de mongols, prétextant qu’ils nourrissaient des sentiments séparatistes à l’égard de la Chine.

La plus récente incarnation du mausolée est cependant qu’une autre tentative de se réapproprier l’héritage de Gengis Khan. Mais les mongols en ont fait leur et ce de manière très intéressante. Environ 80 % des visiteurs sont mongols. Jack Weatherford se souvient de sa visite ici avec un collègue mongol et un soldat de l’armée chinoise. Les deux partagent un profond respect pour leur ancêtre mongol commun. « J’ai pu sentir l’immense fierté, plus particulièrement celle du jeune soldat, d’appartenir à cette terre mongole » déclare Weatherford. « Et il parlait mongol, même s’il était soldat de l’armée chinoise. Cela montre comment, dans la vie de tous les jours et des gens ordinaires, l’histoire est plus compliquée que celle que nous écrivons dans les livres, tout n’est pas manichéen, d’un côté l’envahisseur, de l’autre l’oppressé. »

Et pourtant, l’histoire de la Mongolie et de la Chine a bien été une histoire d’opposition et de batailles, de vainqueurs et de vaincus. La Chine a fait tourner la roue. On dit que l’histoire est écrite par celui qui triomphe ; au final, en Mongolie intérieure, le triomphe est bien chinois.

Mais à entendre les chants anciens chantés par les gardes descendants des généraux de Gengis Khan, à voir les mongols vénérer cet endroit, on se dit qu’on écoute là une histoire secrète, une histoire qui a traversé les siècles et qui siègent près du cœur des gens qui la vivent. 

 

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