Ces Mongols qui vivent à l’étranger
Voici un témoignage EXCEPTIONNEL tiré d’un article du magazine Mongolica, écrit par A.Munkhjin
« Mes parents travaillaient pour l’Etat. En échange notre famille vivait dans un appartement appartenant à l’Etat et ce dernier payait pour l’école et l’université de mes frères et ma soeur. Mes amis et moi on s’habillait tous quasiment pareil et on mangeait les même bonbons à l’époque. Puis un jour d’hiver des personnes ont commencé a manifester sur la place Sukhbaatar à Oulan Bator en Mongolie et ont demandé aux dirigeants pour lesquels mes parents travaillaient de quitter leur poste et de démissionner. Ma mère, n’aimant pas son patron, était entièrement pour ces jeunes qui manifestaient. Quant à mon père, lui au contraire s’enfermait dans son silence et désapprouvait franchement ces mouvements. Peu de temps après ma mère perdit son travail à cause de mesures de restriction et mon père fut envoyé à la retraite anticipé à l’âge de 45 ans. Mon frère aîné décida soudainement qu’il n’aimait plus son travail et qu’il voulait davantage de liberté, comme c’était dans l’air du temps. Il quitta son poste pour devenir un commerçant voyageant à l’étranger pour acheter des articles à revendre ici en Mongolie. Et mon second frère aîné quitta bientôt l’université pour le rejoindre. Il ne restait plus que ma grande soeur pour étudier. Et très vite nous commencèrent à avoir des problèmes d’argent. Heureusement les chaussures qu’importaient mes frères commencèrent à bien se vendre et bientôt je fus celle qui était la mieux habillée de mon quartier. Tout dans notre famille avait changé si soudainement…
20 ans ont passé depuis mon enfance et ces années tourmentées. Et ce n’est que plus tard lorsque je rentrais à l’école secondaire que je compris que tous ces changements et événements que j’avais vécu, avaient été causés par l’arrivée de la démocratie et de l’économie de marché dans mon pays.
Depuis cela de plus en plus de personnes ont commencé à partir du pays pour aller dans toutes les directions. Cette excitante période de tumultes a complètement changé les mentalités ici et désormais les gens veulent voir et expérimenter par eux-même tout ce qui est nouveau. Dans l’ancienne société traditionnelle mongole les gens qui partaient à l’étranger le faisait principalement pour étudier ou dans de rares cas pour des missions officielles. C’était souvent pour aller vers des pays du bloc communiste et lorsqu’ils revenaient une fois leurs études terminées, ils étaient tenu en très haute estime.
Mais aujourd’hui il ne reste que très peu d’endroits où on ne peut pas du tout croiser de mongols. Bien que ne nous soyions qu’à peine 3 millions de mongols beaucoup quittent le pays en emportant avec eux dans leur coeur la mémoire de leur patrie. Le nombre officiel de mongols vivant à l’étranger est de 100.000 personnes, mais on peut le doubler pour arriver à un chiffre proche de la réalité. Ceux qui choisissent de quitter leur pays pour aller à l’étranger sont poussés par l’envie d’apprendre, de faire de bonnes études, de faire quelque chose de bien de leur vie et de gagner suffisamment d’argent pour en envoyer à leur famille et pouvoir eux-même vivre heureux.
Une étude récente montre que les jeunes mongols étudient, travaillent et vivent dans environ 80 différents pays du monde. L’immense majorité d’entre eux ont entre 18 et 35 ans. Leur situation est souvent très précaire et difficile et ils vivent parfois très mal de leurs faibles salaires provenant de métiers difficiles et dégradants. Or ce sont souvent des personnes diplomées dans leur propre pays comme des médecins, des enseignants ou des ingénieurs.
En réalité ce que veut chaque personne dans la vie c’est avoir suffisamment d’argent pour bien vivre, avoir un peu de temps libre pour exercer des activités de loisirs, passer du temps avec ses proches, avoir un peu de vacances etc. Et même si la Mongolie entre maintenant dans l’économie de marché cette vie-là n’est pas encore possible ici. Bien entendu de nombreux mongols souhaiteraient voir revenir leurs compatriotes sur leur terre natale ; mais ceux qui ont réussi à l’étranger et qui ont une « bonne » vie là-bas ne sont certainement pas pressé de revenir. Et certains ici se demandent tout haut pourquoi ceux qui sont partis ne peuvent-ils pas vivre comme tout les autres ici dans leur propre pays ?
Il y a un proverbe mongol qui dit : « si le lac est calme, les canards aussi sont calmes ». Les mongols vivant à l’étranger sont comme des oiseaux qui se sont envolés loin afin de nager en paix sur un lac même si celui-ci est froid et lointain. Et d’avoir vu d’autres horizons, d’autres lacs plus clairs leur a permis de comprendre un peu mieux peut-être pourquoi leur lac d’origine et son eau sont si mouvementés et troublés. Et le jour où ces éxilés reviendront enfin sur leur terre natale celle-ci se verra gratifiée d’une toute nouvelle énergie, d’idées neuves pleine de respect et de paix. Ensemble ils permettront peut-être enfin à ce pays qui nous est si cher de se développer.
Ces exilés vivant loin de chez eux ont constamment leur esprit et leurs oreilles tournés par ici, à l’affût de changements significatifs dans des domaines comme par exemple la politique nationale, le niveau des institutions de santé ou d’éducation, le droit de vote etc.
Les ravages de ce phénomène de société sont multiples comme par exemple toutes ces familles déchirées, séparées, tous ces couples vivant à des milliers de kilomètres les uns des autres et qui finissent souvent pas se séparer, ces enfants ne connaissant pas un de leur parent, ces frères et soeurs séparés, ces membres de la même famille vivant dans des pays différents et parlant parfois une langue différente.
En réalité toutes ces personnes demandent juste à pouvoir vivre décemment dans leur propre pays, près de leurs proches, soutenus par un gouvernement qui leur en donnerait la possibilité. Et espérons que ce jour formidable où tous ces oiseaux migrateurs reviendront sur les eaux apaisées de leur lac origine, ne soit plus très loin. »]